La Famille
Fondement de la société juive marocaine, la famille traditionnelle est organisée autour des injonctions bibliques et talmudiques auxquelles s’ajoutent les coutumes et traditions locales.
La pratique religieuse rythme et cimente la vie de la famille à travers le cycle de vie et les fêtes.
La cellule familiale s’appuie sur l’institution du mariage, qui fonde la relation de couple. Elle s’insère dans le réseau étendu de la parenté de l’époux essentiellement, en raison des règles de patrilocalité, prédominantes.
Le mariage traditionnel, le plus souvent arrangé par les parents, est précédé de négociations portant sur les montants de la dot de l’épouse – constituée par son trousseau – et celle du mari; une fois définis, les montants de ces sommes figurent comme des éléments du contrat de mariage et sont inscrits dans la ketouba.
La famille du mari peut également demander une preuve de la virginité de la fille, constatée la plupart du temps en présence des membres des deux familles, à l’occasion du bain rituel.
L’âge au mariage est souvent précoce pour la fille d’où une différence d’âge avec le mari souvent élevée.
L’union de type endogamique (entre cousins ou entre oncle et nièce) est permise, et la division des rôles dans la famille favorise un partage de pouvoirs.
Le père-mari occupe une fonction d’autorité sur ses enfants et sa femme, qui lui doivent respect, soumission et fidélité.
Si le rôle maternel des femmes est vénéré, et la procréation essentielle, elles doivent en outre s’acquitter des fonctions domestiques et sociales et de l’éducation des enfants en particulier celle des filles.
Quant à celles des garçons, elle leur échappe partiellement à cause de la très grande place de l’éducation religieuse.
Avoir de nombreux enfants, surtout des garçons, même dans des conditions de pauvreté, est considéré comme une bénédiction.
En cas de stérilité, on a souvent recours à des pratiques magiques, ou plus rarement à la bigamie si la stérilité n’est pas curable.
La procédure de divorce ne présente pas d’obstacles majeurs pour les hommes: il peut divorcer de son épouse à son gré, après une période d’attente de 30 jours. Il doit acquitter les sommes inscrites dans le contrat de mariage, la ketoubah, et payer les coûts du divorce.
Les femmes, quant à elles, peuvent demander le divorce à certaines conditions reconnues par la législation juive:
Le défaut d’entretien (alimentation, habitat, vêtement), les sévices ou la mise en danger de la vie de la femme, la bigamie, l’abstention volontaire et persistante du devoir conjugal de la part du mari, sauf en cas de maladie.
En cas d’adultère reconnu de la femme, le divorce est obligatoire et la femme pouvait être chassée du foyer et répudiée.
Des conditions économiques difficiles pouvaient conduire certaines d’entre elles à avoir recours à des formes de prostitution.
L’éducation familiale, marquée par des effusions affectives ou des brimades corporelles, est différenciée selon le sexe des enfants.
Les garçons sont plus libres que leurs sœurs mais tous devaient respect au père et aux aînés.
Les femmes doivent cependant obtenir le “Guet” (acte de divorce) de leur conjoint qui leur octroie son consentement selon son gré, même si les autorités rabbiniques peuvent le pousser à le donner en utilisant parfois des moyens de coercition. L’acte de divorce est rédigé selon des règles précises, vérifiées par le juge, les témoins et le mari, puis après un rencontre où l’acte de divorce est remis à la femme, le tribunal signe le “Petur” qui atteste de la dissolution du couple. La femme ne peut se remarier avant 92 jours et ne peut se marier avec un Cohen. En cas d’adultère de l’épouse, le mari peut communiquer le nom de l’amant au juge pour les empêcher de se remarier par la suite.
La stérilité persistante de l’épouse liée à l’impuissance du mari peut aussi servir de raison du divorce qui doit être suivi d’un remariage.
Un traitement injurieux répété de la part du mari peut aussi être considéré comme une raison sérieuse, tout comme une conversion à une autre religion.
En cas de veuvage, “la Halitsa” (déchaussement) permet de contourner la prescription biblique du “Yiboum” ou “Levirat”, qui oblige un homme à devenir l’époux de la veuve de son frère décédé quand ce dernier n’a pas laissé d’enfant.
Le tribunal rabbinique vérifie le statut des demandeurs auprès de témoins et procède à la cérémonie.
Après inspection, le demandeur doit chausser la sandale rituelle à son pied droit, faire trois tours à son lacet, sur son mollet et l’attacher d’un nœud spécial.
La veuve placée face à son beau-frère, prononce la phrase rituelle en hébreu puis en arabe ou en espagnol : le frère de mon mari a refusé d’établir un nom en Israël pour son frère et il ne veut pas m’épouser selon le lévirat.
Les juges vérifient que l’homme comprend bien ces mots, et ce dernier prononce ensuite en hébreu d’un seul souffle la phrase: Je n’ai pas voulu la prendre.
De nouvelles pratiques familiales se mettent en place avec l’occidentalisation.
Au plan juridique, la constitution de la famille est soumise à de nouvelles règles dont certaines sont édictées par de grands rabbins marocains après la Seconde Guerre Mondiale.
Ainsi, l’âge minimum au mariage est avancé à 15 ans pour la jeune fille, alors que l’âge légal passe à 20 ans, ce qui entraîne le recul du mariage précoce.
L’examen prénuptial est aussi imposé dans les agglomérations éloignées.
Sous l’influence des idéaux occidentaux, la décision des parents pèse moins que les relations affectives entre les intéressés pour se mettre en couple; d’où des fréquentations plus libres, diminuant d’autant les mariages arrangés.
Les règles d’endogamie se distendent et avec le brassage des populations, les mariages entre familles juives de différentes localités augmentent. Les cérémonies du mariage tendent à se simplifier, alors que le nouveau couple se détache de la famille étendue pour assumer une plus grande autonomie.
La transformation des coutumes se traduit aussi par la rupture des fiançailles, les relations sexuelles pré-maritales et l’augmentation des naissances hors mariages.
Les autorités rabbiniques édictent aussi des mesures pour rendre plus difficile le divorce, assurer le consentement de la femme et son bien-être économique. La toute-puissance du mari au plan juridique est réduite. Les droits successoraux incluent les femmes et le lévirat est aboli.
Si la procréation demeure un objectif important pour le couple, cette injonction tend à être modulée en fonction des contraintes liées au travail féminin et la prise en considération de la qualité de vie, d’où le recours à une planification des naissances plus affirmée.
Les pratiques religieuses tendent aussi à se distendre, sans éliminer cependant les moments forts liés au calendrier liturgique.
Les conflits entre générations et les rapports entre les sexes obéissent désormais aux lois de l’individualisme, surtout dans les catégories sociales plus favorisées et plus sensibles à la modernité.
La solidarité familiale continue néanmoins de s’exprimer lors des cérémonies religieuses et des rites de passage, même si les migrations dans différents pays ont souvent fait éclater le tissu familial élargi au profit de nouveaux réseaux sociaux fondés sur le voisinage ou la fréquentation des centres et lieux de culte.