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Littérature Moderne
Le désir de recréer un monde harmonieux, souvent nostalgique, d’un âge d’or, traverse la création littéraire juive marocaine, et emprunte souvent les formes issues de la culture dominante. Les héros maghrébins expriment cette ambivalence.
A la recherche de valeurs enracinées dans la tradition, ils se débattent dans l’univers du colonisateur, auquel ils ne sont que partiellement intégrés et dont ils sont les prisonniers volontaires.
La dynamique binaire présente dans ces oeuvres témoigne de contradictions entre le français et le maghrébin, le dedans et le dehors, l’obscurité et la clarté, la modernité et la tradition.
Une des fonctions majeures de cette littérature est d’exorciser cette tension en tentant de renouer avec la terre des origines, désormais « terre intérieure », selon le mot d’Albert Memmi.
Dans ces textes, marqués par souci autobiographique, les auteurs sont mus par le besoin de se situer, de sonder leur mémoire, d’examiner les tensions intérieures et extérieures, de revendiquer leur identité ou de la rejeter.
Dans le sentiment de la différence, ils mettent l’accent sur les détails d’un univers devenu inaccessible qu’ils cherchent à restituer par l’écriture.
Le thème de la famille et du réseau social permet de découvrir un univers juif attaché aux traditions. La description de l’espace, en particulier du mellah est un thème prééminent dans cette littérature.ifférents pays.
Cette reconstitution imaginaire est un des moyens de retrouver une matrice commune transformée par l’histoire et où domine le sentiment nostalgique.
La petite anthologie des écrivains et des poètes présentée ici vise à illustrer quelques uns de ces genres littéraires et la façon dont leurs auteurs ont traité des thèmes relevant de la sensibilité judéo-marocaine.
Un premier souci de cette littérature est de rendre compte de l’histoire de la communauté juive marocaine, de ses coutumes, de ses moeurs, de ses valeurs; démarche que reflètent souvent les écrits des instituteurs de l’Alliance Israélite Universelle comme Moïse Nahon, Narcisse Leven ou R. Tadjouri.
Les travaux d’Elie Malka, de type ethnologique, rendent compte de la condition juridique de la femme juive, des rites de passage ou du folklore des mellahs.
De facture historique, l’ouvrage de Isaac Abbou évoque cette communauté avant la colonisation, de même que ceux de Sarah Leibovici dans sa Chronique des Juifs de Tétouan .
Les travaux de Joseph Tolédano se caractérisent aussi par cette approche : sa monographie sur la ville de Meknès, Le temps du mellah, ou la publication plus récente des Noms de famille des Juifs du Maghreb.
Il faut aussi noter l’apport d’Armand Lévy, Il était une fois les Juifs du Maroc. Cette culture et cet imaginaire sont étudiés de façon approfondie par Haim Zafrani qui leur consacre une douzaine d’ouvrages importants sur la pédagogie, le mysticisme, la poésie savante, les croyances populaires.
D’autres historiens d’origine marocaine, comme Germain Ayache et Michel Abitbol ont fait de l’histoire de cette communauté le thème central de leurs recherches.
Dans les pays où les communautés juives marocaines se sont installées, des monographies et des thèses leur ont été consacrées, analysant les différentes modalités d’adaptation et les problèmes d’identité auxquels elles sont confrontées.
Littérature Populaire
Les langues hébraïque, judéo-espagnole, judéo-arabe, judéo-berbère et française, expriment l’imaginaire juif marocain que l’on retrouve dans les poèmes populaires, les proverbes et les contes.
Outre l’arabe dialectal utilisé par les Juifs marocains pour communiquer avec leurs compatriotes musulmans, le judéo-arabe constitue un sociolecte possédant des caractéristiques syntaxiques et lexicales particulières.
L’arabe en constitue la matrice grammaticale et lexicale de base, mais il contient des éléments hébraïques aux niveaux phonétique, morphologique, lexical et syntaxique. Les référents hébraïques sont importants dans les domaines religieux, affectifs et intellectuels.
Ce dialecte a été soumis aux influences berbères, judéo-castillanes, espagnoles, portugaises, italiennes et françaises. De nombreux mots relatifs aux aspects modernes de la vie sociale et intellectuelle sont empruntés au Français.
Le sociolecte masculin se caractérise par un niveau d’hébraïsation plus grande au sein de l’Élite, alors que celui des femmes est marqué par une plus grande métaphorisation, l’usage plus fréquent des proverbes, imprécatoires ou bénéfactifs, des substituts affectifs, modaux ou euphémiques.
Le judéo-espagnol ou haketiya est la langue vernaculaire parlée par les Juifs du Nord du Maroc.
Il a comme base l’espagnol péninsulaire du XVe siècle, parlé par les Juifs expulsés d’Espagne, puis par leurs descendants ou les populations locales, auquel se sont greffés des emprunts nombreux à l’arabe sur les plans phonétique et lexical ainsi que des mots hébreux.
Au XIXe siècle, cette première forme de haketiya fut influencée par les relations commerciales avec l’Espagne puis par l’occupation par ce pays du nord du Maroc.
Ces relations entrainèrent la recastillanisation du dialecte espagnol et sa francisation, créant ainsi ce que certains linguistes appellent un judéo-fragnol.
Ce dialecte a aussi donné naissance à des formes Écrites, en caractères hébraïque ou français. Outre la diversité dialectale, des ouvrages sont rédigés en ladino, un espagnol datant du XIIIe siècle. Cette langue calquée emprunte à l’hébreu sa syntaxe et à l’espagnol son lexique.
Utilisé par les groupes juifs vivant dans l’Atlas et le Souss, le berbère comprend des dialectes dont l’origine est mal connue. On les rattache au groupe chamito-sémitique qui inclut, entre autres, l’Égyptien et les langues d’Afrique noire.
Influencés par l’arabe, auquel ils ont fait de nombreux emprunts, ces dialectes expriment un riche folklore, ainsi qu’une littérature orale portant sur la tradition religieuse (par exemple, une traduction de la Haggadah de Pessah, recueillie également en version écrite).
La qissa et la qsida, deux genres narratifs voisins, souvent anonymes, expriment le vécu quotidien en judéo-arabe ou judéo-berbère.
Ils traitent d’évènements comme la destruction des temples, mettent en scène des personnages bibliques comme Zacharie, Hanna ou Job, des saints…
La langue de la qsida, selon Chétrit « … est généralement la langue parlée la plus savoureuse, se rapprochant parfois même du sociolecte des femmes avec ses multiples formes d’implicites et son arsenal de bénédictions et surtout de malédictions et d’insultes.

Quant à l’Écriture même, elle est tour à tour objective, polémique, satirique, très souvent humoristique, employant les procédés du grotesque, de la parodie, de l’ironie, du comique de situation, ou même du comique de caractère ».
Les qsayid,dont les traces remontent au XVIIIe siècle, sont diffusées sur des feuilles volantes et traitent, d’après Issakhar ben Ami et Joseph Chétrit, de l’environnement du mellah (la qsida des punaises, des chats, des rats) et de la vie quotidienne.
On y fait aussi l’Éloge des rois marocains qui ont protégé les Juifs, et raconte l’incursion des Oudayas dans les années 1930, la Seconde Guerre Mondiale (Haggadah di Hitler), ou encore le tremblement de terre d’Agadir…
La qsida des Oudayas
Au nom de Dieu, je vais vous raconter ce qui nous est advenu.
Dans la ville de Fas-al-Jadid. Nous Étions à la grâce de Dieu. […]
Les oudayas firent irruption et crièrent : « les voilà en notre possession! »
Ils trouvèrent des gens en grand nombre et crièrent « Dieu est le plus digne de louanges »
Il fit donner la mitraille contre nous, à partir du jardin de Lalla Mina, et la cible qu’il visait il ne la manquait point…[…]
Notre ravitaillement en matières grasses et huile d’olive cessa. La crasse était sur nous et le savon introuvable. Où est-il ? Qui l’a vu ?
On manqua de citrons et de figues
Et nous brêlions de désir pour le mulet et pour l’abondance des biens de Dieu.



La qsida du vin et de l’eau-de-vie
La prière de l’ivrogne n’est pas exaucée
Son témoignage n’est pas valable
Il ne reconnaît ni ses enfants ni son épouse…
La porte de l’enfer lui est ouverte.
La qsida d’Agadir
Viens écouter cette histoire
D’Agadir que l’on n’oubliera jamais,
Un malheur s’est abattu sur nos frères…
La terre a tremblé alors qu’ils dormaient…
Juifs, chrétiens et musulmans.
La qsida des femmes d’aujourd’hui
Cheveux coupés, mode européenne
Et du rouge aux lèvres et du khol…
Rendez-vous au Parc Lyautey elles ont fixé,
Là se réunissent les mauvaises filles et font des folies
La qsida de la femme chleue
Méfie-toi de la femme chleue…
Elle est arrivée nu-pieds de sa ville
Elle a commencé à travailler à la semaine
Vite elle est devenue patronne,
Elle a volé à son employeuse son mari…[…]
Dans les hôtels elle guette l’Américain
Elle lui cligne de l’oeil et lui dit « come on »
Et lui fixe le prix…
Les proverbes
Dans ses formules brèves et percutantes, le proverbe condense une sagesse populaire que la mémoire peut retenir et transmettre.
Intégrant le paradoxe, redoublant souvent d’ironie, l’aphorisme ne manque pas de relativiser les situations tout en confirmant des valeurs ancestrales que les femmes en particulier sont chargées de transmettre. Plus qu’une morale ou une pédagogie, ils remplissent souvent un rôle de défense dans des situations conflictuelles par une mise à distance verbale. Ces formules ritualisées signalent une faculté et une volonté d’adaptation, qui ne sont pas dénuées d’humour.
Qu’ils soient en judéo-arabe, judéo-berbère ou judéo-espagnol, ils illustrent les étapes du cycle de la vie, la vie quotidienne, les rapports avec Dieu et les normes sociales.
Dieu
lg ra ihlek Rebbi tutfit igas tifrawin
Lorsque Dieu veut faire périr la fourmi, il lui donne des ailes.
Dios aprieta pero no ahoga
Dieu nous oppresse mais ne nous Étrangle pas
Joies et malheur
Quien canta, su mal espanta
Celui qui chante fait peur à son mal
Idda tahet essha ma bqua la zin oula frha
Quand la santé s’en va il ne reste ni la beauté ni la joie
Malédiction et médisance
La blessure guérit mais le mal provoqué par une parole déshonorante ne guérit pas.
Maldicion sin letra, por la boca que sale entra
Malédiction sans raison, retourne à la bouche d’où elle est sortie.
Renom
Mis bestidos, mis honrontes, ellos me suben y ellos me abaten
Mes habits sont mon honneur. Ils m’Élèvent et me rabaissent
L’ouzah ta’mel el flous Oulflouss ma’imlou louzah
Avoir un bon renom procure de l’argent mais l’argent n’est pas garant du renom
Mariage et amour
Al marido quierele como al mejor amigo pero guardate de el como el peor enemigo
Ton mari, chéris-le comme le meilleur ami, mais méfie-t-en comme du pire ennemi
S’il n’y avait pas de mensonges, les filles ne se marieraient pas.
Egoïsme
Elli ka ihhbha klha ka yikhliha klha
Qui veut tout avoir laisse tout
Cuando mi amo come, no ve no oye
Quand mon maître mange il ne voit ni entend
Conseils de vie
Quien madruga, el dio le ayuda
Qui se lève tôt, Dieu l’aide
Es-sultan betaz-ouka ythtaz
Même avec sa couronne le roi dépends des autres
Afus enna sur tufit at tebit tessudemt
La main que tu ne peux mordre, baise-la
Les contes
Peuple du Livre mais aussi peuple de l’oralité, les Juifs marocains ont préservé une très grande collection de contes et de légendes. Transmis de génération en génération, ils montrent la richesse de l’imaginaire juif et ses emprunts aux cultures environnantes.
A la synagogue, à la maison, ou dans les cafés, devant un public attentif, le conteur déploie toutes les ressources d’un art gestuel et déclamatoire, où dominent jeux de mots, rimes et proverbes, qui transmettent, à travers les péripéties du récit, des leçons de spiritualité et de sagesse.
Issus d’une tradition arabo-berbère, elle-même enracinée dans le folklore méditerranéen, les contes traitent, entre autres, des croyances magiques (djnouns), des pouvoirs surnaturels des saints pour illustrer et renforcer l’enseignement juif traditionnel, des héros bibliques ou locaux, comme le fameux Joha, et des antagonismes intercommunautaires. Les animaux sont souvent mis en scène comme dans la plupart des fables.
Ces récits sont caractérisés par la présence de frontières floues entre le réel et le mythique, le profane et le sacré, l’intrusion du merveilleux ou du divin dans le quotidien, par la puissance magique attribuée aux prières, incantations, malédictions et bénédictions.
Voici quelques exemples de ces contes
Les mariages sont décidés par D.
Le roi Salomon Était un souverain si puissant qu’il décida de prouver que comme D., il pouvait arranger les mariages. Il décréta alors que personne ne pourrait se marier sans son autorisation.
Un jour, un jeune homme se maria avec la jeune fille qu’il aimait, sans l’approbation du roi. Celui-ci, mis au courant, arrêta l’épouse après la cérémonie nuptiale et l’exila sur une île déserte où, grâce à ses gardes, elle ne manqua de rien.
Quant à son époux, persécuté par le roi, il alla de ville en ville pour finir par se retrouver sur l’île où sa compagne se morfondait. Les gardes continuèrent de les nourrir, ainsi que les enfants, nés de leur union…
…Le roi Salomon étonné de l’augmentation de ses dépenses mena une enquête et constata qu’un homme et des enfants vivaient sur l’île.
Soupçonnant que la femme avait commis un adultère, il fit comparaître le couple afin de les punir. Mais D., par l’intermédiaire d’un ange, leur envoya un contrat de mariage dément préparé, une ketouba écrite selon les règles de la halakha.
Le roi Salomon réalisa alors que l’homme était le mari qu’il avait si injustement séparé de son épouse le jour de son mariage.
Il reconnut alors le pouvoir de D., le seul capable de guider la destinée de l’homme.
Comment Joha acheta de l’huile
Un jour, la mère de Joha lui donna une bouteille et lui dit : « Joha, va m’acheter de l’huile ». Joha alla à la boutique et le commerçant remplit sa bouteille d’huile. Il en restait un peu qui ne pouvait être versé dans la bouteille.
« Que veux-tu en faire? » demanda le boutiquier?
« Mettez le reste ici » répondit Joha en retournant la bouteille à l’envers pour présenter une petite cavité située au fond. Alors qu’il revenait chez lui, l’huile se mit à tomber goutte-à-goutte de la bouteille qui se vida complètement.
« Joha, lui demanda sa mère «étonnée, c’est tout ce qu’il y a comme huile ? ».
Il retourna alors la bouteille à l’endroit et lui dit « Non! Il y en a un peu ici ». C’est ainsi que toute l’huile fut perdue.
Un âne assis sur un âne
Un jour, un ânier s’apitoya sur le sort de son âne: « Cela m’attriste que mon âne ait à travailler si fort. Avant que je ne lui donne son fourrage, je voudrais lui faire un cadeau!. »
Et, lorsque l’âne s’approchait du fourrage, il lui demandait, en le tirant par les oreilles: « Quel cadeau veux-tu avoir? Tu le mérites! ».
L’âne, fixant son maître sans comprendre, finit par lui envoyer ses pattes sur la figure.
Perplexe, ce dernier répondit: « Si je savais que c’était ce que tu voulais, je ne t’aurais pas même pas donné à manger! ».
De cet homme, on a dit : c’est un âne monté sur le dos d’un âne!

Littérature Traditionnelle
(Texte extrait de Mosaïques de notre mémoire)
Par Haïm Zafrani
La poésie judéo-marocaine d’expression hébraïque est représentée par un nombre considérable d’auteurs. Tout lettré est, en effet, occasionnellement poète. Outre les Aben Sur, mentionnons, pour mémoire, quelques autres noms dont les compositions ont acquis droit de cité dans le monde séfarade d’Orient et d’Occident :
– David Hassin : Tehillah le-David, Amsterdam 1807.
– Jacob Berdugo : Qol Ya’aqob, Londres, 1844.
– Jacob Ben Shabbat : Yagel Ya’aqob, Livourne 1881.
Le recours à la tradition : la « Chaîne poétique »
L’examen de ce mode d’expression et l’étude des œuvres fondamentales qui le représentent permettent de discerner les liens qui rattachent la poésie marocaine à la poésie juive traditionnelle, à cette « chaîne poétique » constituée par l’antique poésie biblique, le piyout palestinien des sept premiers siècles de notre ère, et les Œuvres médiévales des grands maîtres du monde séfarade et oriental jusqu’au XVIe siècle.
L’Ecole espagnole, plus spécialement, est la référence privilégiée des auteurs marocains, les megorashim.
Ces liens, on les perçoit, constamment, à tous les niveaux d’analyse : au niveau de la conscience poétique des auteurs, de leurs motivations et préoccupations essentielles, de l’itinéraire intellectuel du lettré-poète, des conceptions de l’art poétique, de ses bases doctrinales et des pratiques courantes, au niveau de la création poétique elle-même, des thèmes et des genres, des techniques de composition, de la langue et du style, du problème de l’inspiration et de la créativité poétique du rêve, comme au niveau des rapports avec l’ensemble des humanités juives, avec la légende (Midrashet Aggadah), le Talmud et son herméneutique, la halakha, la mystique et la Kabbale,et enfin la liturgie et le chant auxquels la poésie est étroitement associée et dont elle est l’auxiliaire constant et le compagnon inséparable.
Art poétique et techniques de composition
Le vers est, dans la société juive maghrébine, le support de la prière et du chant, étroitement lié à la liturgie et au folklore, inséparable de leurs manifestations multiples et variées.
Dans le canon poétique et le discours versifié du judaïsme maghrébin, l’élément focal est le schéma prosodique; son aptitude à la musique et au chant est une exigence fondamentale.
C’est pourquoi y est si grand l’attachement aux techniques de composition héritées des écoles espagnoles ou importées plus tard d’Orient.
Les poètes juifs maghrébins semblent également avoir tenté d’imiter le piyout palestinien et ses procédés de composition, ainsi qu’en témoignent les indications inscrites en tête de quelques-unes de leurs oeuvres, dans les références de lahan, de no’am et de « sur l’air de É, sur le modèle prosodique de É ».
Mais c’est à l’héritage andalou, au patrimoine culturel élaboré à l’âge d’or hispano-maghrébin, que cette poésie doit l’essentiel de ses techniques prosodiques.
C’est, en effet, à l’école de l’adab, des sciences linguistiques et des humanités arabes, que les poètes juifs hispano-maghrébins ont fait l’apprentissage de l’art poétique. Ils y sont restés fidèlement attachés.
Poésie et musique
Musique et chants andalous dans la société juive marocaine
Le chant et la musique donnent au message poétique une dimension et une signification qui dépasse son contenu, lui confèrent des résonances qui s’ajoutent à celles formulées, inscrites en lui.
Les anthologues poétiques portent des indications musicales et prosodiques de no’am et lahan (thèmes mélodiques empruntés à des compositions anciennes ou contemporaines), de mode (maqam, tab’ et nawba).
Ces indications sont exprimées, sauf exceptions rares, dans la langue et avec la terminologie de la musique arabe et du chant andalou, ce qui témoigne d’une connaissance parfaite, acquise le plus souvent par la voie orale, de la théorie et de la pratique de la ala ( art musical andalou ) et du contenu de recueils tels que celui intitulé Al-Hayk, qui constitue encore la bible et le livre de chevet du parfait musicien marocain, de l’amateur (mulu), comme du professionnel (‘ali).
Mais le savoir du chantre juif marocain dépasse le cadre du Hayk; il emprunte des genres et des modes hérités d’une tradition plus ancienne désignée par triq qdim, et qui se réfère, soit à des mélodies andalouses oubliées par ailleurs et qui se seraient perpétuées dans les mellahs et les synagogues, soit à des thèmes musicaux de vieille origine palestinienne ou importés plus récemment d’Orient, colportés par les Rabbins Emissaires-Quêteurs, ces commis voyageurs de la culture et de la science juive qui visitaient régulièrement les communautés les plus lointaines de la diaspora.
Une famille de lettrés-poètes marocains d’ascendance castillane des XVIIe et XVIIIe siècles:
Jacob, Moïse et Shalom Aben Sur
Les oeuvres poétiques de ces trois auteurs, de dimensions inégales, ont été réunies en un seul volume, imprimé à No-Amon (Alexandrie), en 1893, par les soins d’un Rabbin-Emissaire de la communauté maghrébine de Jérusalem.
Dans l’oeuvre des Aben Sur, on rencontre la même inspiration, les mêmes préoccupations et motivations, les mêmes genres et les mêmes thèmes, des séries plus ou moins nombreuses de baqqashot (invocations) dont la structure se rapproche de l’hymne et de l’élégie.
O mon créateur, regarde le serviteur qui frappe à la porte
Ouvre-lui l’accès du seuil de ta demeure
Ses yeux, il lève vers toi. Que jusqu’à toi arrive le soupir de ses supplications qu’il murmure dans ta maison.
Reçois ses prières, accepte les comme des sacrifices
Holocauste et vapeurs parfumées sur tes autels.
Tehinnot (supplications et exhortations), qui évoquent les souffrances du peuple juif et la rédemption :
Eternel qui réside dans les hauteurs
[…] Réconforte les pauvres et les faibles
Ressuscite le souffle des humbles […]
Aie pitié de tes fils et rassemble les dans la cité d’un roi puissant
Ils y seront en paix et l’étranger n’en approchera point.
Ahabot (proclamations de l’amour de Dieu),
Colombe , retiens les pleurs de ta voix
C’est moi qui délivrerai tes fils
Réjouis-toi car voici, c’est moi qui
Cimenterai de stuc tes pierres
Ge’ullot (espoirs de rédemption et évocations de l’ère messianique),
Shebaot (louanges),
Dieu, prête attention à mon murmure, mon sauveur, mon refuge, et rassemble un peuple malheureux
Sur l’emplacement de Sion, reviens séjourner, Dieu, haut et suprême, vite, ne renonce pas
Qinot (élégies et complaintes funèbres)
Quel mal! Quel mal! Quelle immense douleur!
[…] Ah comme ces douleurs sont pénibles! Comme se sépare l’ongle de la chair
ainsi se sépare le fiancé de la fiancée
Quelle immense douleur.
Reshuyot (préludes) aux différentes liturgies
Du genre bachique, fort peu représenté, à notre connaissance, dans les anthologies marocaines, parce qu’il relève de la poésie profane, on trouve chez David Hassin (Tefillah le-David) une composition dont le no’am (thème mélodique) se réfère à une pièce ou Sa’adya Shuraqi chante le vin et l’ivresse.
Les libations qui marquent la célébration de la fête de Pourim et qui, souvent, ont donné lieu à une copieuse production poétique, relèvent davantage de motivations religieuses, comme en témoignent les pièces dédiées à cette solennité par Jacob Aben Sur.
Haïm Zafrani
Les femmes ont aussi contribué à la poésie judéo-arabe, surtout dans le Sud du pays où elles ont créé des romances et chansons du cycle de vie, qui reprennent des thèmes plus universels de l’amour, du mariage, de la mort et de la fidélité.
Ces thèmes, transmis par la tradition orale de mère en fille, accordent une large place à l’improvisation.
Joseph Chétrit les classe en trois genres traditionnels dont l’origine remonterait au XVe siècle, lors de l’expulsion commune des Juifs et des Musulmans d’Espagne.
Les El-nwah sont des lamentations très tristes associées au deuil et à la mort.
El-mouwal, poèmes sur la solitude et la séparation, portent un regard sceptique et désabusé sur la fidélité, l’amitié, la richesse.
El-harroubi, poèmes galamment chantés en duo, parlent de l’amour, de ses bonheurs et de ses déboires. On y décrit un environnement de calme et de volupté, mais aussi de souffrance physique et psychologique. Les proverbes y abondent.