Musique
Musique judéo-arabe
La musique occupe une place importante dans le patrimoine juif marocain et elle s’exprime en particulier dans le domaine liturgique et para-liturgique. Aujourd’hui, plusieurs musiciens s’en inspirent.
La liturgie juive marocaine
Les docteurs de la Loi, du IIe au VIe siècle, ont vigoureusement recommandé que les textes sacrés soient chantés selon une cantilation particulière.
Cantilation biblique
Les livres de la Bible sont accompagnés de signes (en hébreu : te’amim, ta’am au singulier signifiant accentuation) qui permettent de les lire ou de les chanter avec exactitude. Selon les interprétations, les te’amim ont été transmis verbalement à Moïse sur le Mont Sinaï, et n’auraient été transcrits que vers 450 avant l’ère chrétienne par Ezra le scribe.
Selon une autre hypothèse, ils auraient été établis entre le VIe et le VIIe siècle par les savants de Tibériade.
Les te’amim remplissent trois fonctions : comme signes de ponctuation, en dessus ou en dessous de chaque mot, ils indiquent les divisions du texte, les pauses et les fins de phrases. Comme accent tonique, le ta’am est placé sur ou sous la syllabe qui doit être accentuée.
Ils ont aussi pour fonction de donner un dessin mélodique, même si leur interprétation musicale varie d’une communauté à l’autre.
On distingue aussi des cantilations différentes selon les catégories de textes :
la Torah, les prophètes, le Cantique des cantiques, les différents livres lus aux fêtes (Ruth, Esther).
Les Juifs marocains ont maintenu la tradition de psalmodier les psaumes à voix haute, contrairement aux communautés juives d’Europe où ils sont lus à voix basse et parfois chantés par l’officiant et la congrégation.
D’une grande souplesse musicale et dominée par le texte, la psalmodie suit un rythme polarisé sur deux demi-versets. Ce qui caractérise la psalmodie de tradition juive c’est la succession ininterrompue de deux unités rythmiques, l’une binaire (2/4), l’autre ternaire (3/8).
Certains psaumes seront aussi chantés à l’unisson par les fidèles. C’est le cas de quelques psaumes et du hallel, récitée au début de chaque mois.
À ces œuvres majeures s’ajoutent des piyoutim, écrits à partir du Ier siècle et qui expriment des sentiments religieux basés sur la croyance en D. et sont influencés par la mystique juive. À ces prières se sont ajoutées d’autres compositions de poètes célèbres qui font aujourd’hui partie de la liturgie comme le lekha dodi, un poème chanté par toutes les communautés juives, le vendredi soir.
Art musical para-liturgique
Les piyoutim
Introduites dans la liturgie à côté des prières, les pièces musicales para-liturgiques proviennent de différentes sources. Les piyoutim sont intégrés à la liturgie des jours de fêtes, du samedi et des fêtes familiales comme la circoncision ou le mariage. Ils constituent l’une des contributions importantes des Juifs marocains à l’art musical et poétique. Sur le plan thématique, ils se nourrissent des préceptes et des images bibliques, mais aussi de toute la littérature rabbinique, renforçant ainsi les homélies et les halakhot (lois religieuses) de chaque fête.
Les piyoutimne sont pas seulement des poésies à caractère religieux, mais ils sont aussi des outils pédagogiques. Sur le plan musical, certains d’entre eux sont composés de phrases mélodiques rythmiques simples alors que d’autres exigent un certain sens de la musicalité pour les interpréter.
Ils ne sont pas entonnés seulement aux offices religieux, mais à d’autres occasions, comme c’est le cas des bakachot.
Les bakachot
La bakacha, qui rappelle le psaume, est une supplique que le poète adresse au Tout Puissant. Un grand nombre de livres de prières de rite marocain en renferment en guise d’introduction. Elles sont souvent chantées avant l’office du matin en attendant l’arrivée des fidèles.
Le chant des bakachot est en rapport avec la coutume répandue chez les Juifs marocains de se lever le samedi matin avant l’aube, durant vingt semaines consécutives de septembre à mars et d’entonner des pièces à caractère religieux ou moral.
L’origine de cette coutume remonte à l’époque talmudique où l’étude de la Torah, la prière et le chant se pratiquaient à l’aube. Selon le musicologue A. Amzallag, l’origine des bakachot se trouverait dans la ville de Safed, un des centres les plus importants de la pensée cabbalistique.
Après l’expulsion des Juifs d’Espagne en 1492, des musiciens et des paytanim se seraient installés au Maroc et auraient traduit les sentiments religieux et messianiques dans leur poésie et leur musique.
Jusqu’à la fin du XIXe siècle le chant des bakachot,connu de quelques mélomanes, se transmettait par des recueils que les paytanim recopiaient avec soin. Par la suite un recueil de piyoutim fut publié. Ainsi le Roni wesimhi (chante et réjouis-toi) édité en 1889 à Essaouira, regroupe des piyoutim présentés méthodiquement selon le cycle liturgique et le cycle de la vie.
Au début du XXe siècle, deux autres ouvrages de piyoutim sont publiés, l’un à Meknès, Yismah Israël et l’autre à Marrakech, Shir’e Yedidout (Chants de l’amitié), en 1920.
Après l’émigration des Juifs du Maroc en Israël, cette tradition s’est de nouveau affirmée, à partir des années 1970 avec les nouveaux groupes de paytanim.
Aujourd’hui cette tradition musicale est fort appréciée, grâce aux nombreux concerts donnés par Haïm Look et Méir Attias et au travail de diffusion et d’enseignement mené par des spécialistes comme Amnon Shiloah, Joseph Chétrit, Edwin Seroussi, Avi Ilam-Amzalag, le fondateur de l’Orchestre andalou d’Israël.
Les suites musicales
Le recueil Shir’e yedidout comprend plus de 550 piyoutim, dont les textes poétiques sont rassemblés en 20 suites musicales; le but des éditeurs étant d’uniformiser le chant des bakachot du Maroc à partir d’une base écrite et structurée.
Répandue parmi les paytanim, cette édition fut par la suite reprise et rééditée en Israël en 1979, en vue d’y ajouter les voyelles et de corriger certaines erreurs. Par la suite, d’autres publications ont vu le jour, notamment le shirey dodim hashalem du rabbin Meir Attias.
Les influences arabo-andalouses dans les bakachot
Les suites musicales des bakachot (nouba)empruntées à la musique andalouse sont transmises essentiellement par voie orale. Cette musique constitue un patrimoine partagé par les Juifs et les Musulmans et elle a suscité un amour passionné chez les maîtres des piyoutim.
Cette musique est structurée autour des noubasqui sont un ensemble de pièces vocales et instrumentales, gravitant autour d’un mode principal et comportant cinq phases rythmiques. Elles ne pouvaient pas être transposées à la synagogue sous leur forme originale à cause de l’interdiction religieuse de jouer des instruments de musique le jour du chabbat.
Les paytanim ont tout d’abord remplacé les textes poétiques arabes par des textes hébraïques en conservant toute la métrique originale puis ils ont retiré les arrangements instrumentaux transformant ainsi la nouba en pièce vocale. L’absence d’instruments de musique, notamment des percussions dans le chant des bakachot, a comme effet majeur l’affaiblissement de l’élément rythmique.
Notons cependant l’effort constant de la part des paytanim de maintenir cette tradition andalouse ancienne et de conserver les vocalises de liaison (ya la lan, ha..na…na, honono) qui caractérisent la musique marocaine.
La contribution des Juifs marocains à la musique andalouse
Plusieurs variantes du patrimoine musical maghrébin sont issues de la même source, que l’on désigne communément sous le nom de musique andalouse. Ainsi, le maâlouf est répandu en Tunisie, le gharnati est enraciné principalement en Algérie, alors que la «al-âla» ou musique arabo-andalouse est la variante marocaine.
C’est en particulier à Tétouan et à Fès que cette musique est pratiquée, tandis que Rabat et Oujda optent plutôt pour le gharnati, célébré à Tlemcen et à Alger.
Ce type de musique fut probablement introduit au Maroc par des Juifs maghrébins et quelques familles algériennes installées à Rabat à la fin du XIXe siècle. Cette musique obéit aux règles et aux critères de la nouba.
L’orchestre de musique arabo-andalouse comprend un rebab (vielle monoxyle à deux cordes), tenu généralement par le chef d’orchestre, une derbouka (tambour-calice) frappée à mains et à doigts nus, pour assurer le rythme avec le târ (petit tambour à cymbalettes) et d’autres instruments principaux, tels que le luth (aoûd), le violon (karânja), et plus récemment le qanoun (cytare horizontale).
Les instrumentistes ne sont pas astreints à assurer une unité phonique, d’où une hétérophonie spontanée qui fait partie du style de la nouba marocaine.
De nombreux maîtres Juifs marocains ont contribué à la renaissance de ce patrimoine musical.

Le Rabbin David Bouzaglo, qui vécut au Maroc et est décédé en Israël en 1975, fut un virtuose de la musique andalouse, et mena des recherches approfondies dans ce domaine. Référence pour les plus grands musiciens musulmans, comme Abdelkrim Raïs, il a toujours refusé de faire des enregistrements.
Un autre grand de la musique andalouse est le Rabbin David Ben Baroukh, connu sous le nom de David Iflah. Né en 1867, il fut le chef de la communauté juive marocaine à Essaouira dans les années 1930, et l’invité vedette des cérémonies officielles.
Un autre maître est David Kaïm El Fassi, considéré comme un cheikh dans l’interprétation des chants religieux hébraïques.
Joseph Banon, surnommé Baychane, mort en 1942, chef de la corporation de musique andalouse, dirigeait à Casablanca un orchestre de Juifs et de Musulmans.
Meloul, installé en Israël était un violoniste remarquable.
Haroun El Mesfioui était un autre musicien distingué, dont l’orchestre animait des soirées au palais royal dans les années 1930, lors des fêtes nationales et religieuses.
Ces artistes ont joué un rôle considérable dans la diffusion du patrimoine musical arabo-andalou et ont formé plusieurs musiciens illustres qui ont perpétué le savoir de leur maîtres; et ils ont perpétué le savoir de leurs maîtres. Citons parmi eux le Rabbin Haïm Look, le Rabbin Albert Bouhadana.
C’est à la suite de l’arrivée des familles algériennes juives et musulmanes à Rabat que la musique gharnatie s’est développée.
Plus particulièrement, dans les années 1930, un grand enthousiasme a provoqué l’organisation de colloques et de rencontres dans les communautés juives et musulmanes. Ainsi à Rabat, on retrouve le m’allem Ayouch, Messaoud Ouaqrat, et son frère Israël Ouaqrat, m’allem David Dery Ben Hlil R’Bati et ses fils.
La musique gharnatie était à son apogée à Rabat lorsque Samy Al-Maghribi devient progressivement l’étoile de la musique arabo-andalouse. Après des études religieuses et une année au conservatoire, il développa son talent vocal et instrumental comme luthiste et, très rapidement, devient l’un des meilleurs interprètes du genre musical andalou marocain; cela lui valut la faveur des rois Mohammed V et Hassan II.
Compositeur de nombreuses chansons à succès en arabe, il mena parallèlement une carrière internationale à la fois comme cantor, paytan et interprète de la musique andalouse.
D’autres instrumentistes virtuoses se sont distingués de leur côté, comme Salomon Souiri, luthiste et érudit musical de renom, Salim Azra, joueur de quanoun, qui vivent tous deux actuellement au Canada.
Les Juifs d’origine marocaine vivant en Israël restent aussi jalousement attachés à ce patrimoine musical.
Les musiques andalouse et gharnatie sont enseignées le soir dans les complexes culturels ou établissements scolaires des principales villes israéliennes. Ce mouvement est dirigé par l’un des grands maîtres dans ce domaine, le rabbin Méir Attias. Chanteur et joueur de rebab, il est le fondateur de l’association des amateurs de la musique andalouse et gharnatie.
Malhoun et qusida
Le malhoun,qui aborde des thèmes tirés de la vie quotidienne, est basé sur la narration (qusida)qui mêle la réalité à l’imaginaire, et au monde mythique. C’est le genre artistique populaire le plus riche au niveau de la douceur du mot et de l’éloquence du sens. L’orchestre du malhounest composé d’instruments à cordes (violon, alto, luth) et de percussions (tarija, daff, handqa).
Le malhoun juif marocain est chanté selon les modes de la musique andalouse et du gharnati.
La qusida est un texte poétique écrit en arabe dialectal ou en hébreu destiné à être chanté sur les modes de la musique andalouse avec une mélodie simple, structurée sur la forme ABA, et constituée du : mouâl (solo vocal), Dkhoul (ouverture), Harba,les strophes de l’ode, la dernière partie ou finale, qui comporte la demande de la grâce de Dieu pour les paroles prononcées, le pardon des auditeurs, le nom réel ou codé du chanteur, la date de composition, la dédicace, les louanges et la satire des adversaires.
La finale est considéré comme un résumé et exécuté avec légèreté et rapidité.
L’art du malhouna connu un grand succès auprès des Juifs marocains qui l’ont enrichi et propagé. Par exemple, cheikh Zouzou, chante la qusida de «Ben Soussan» au début de ce siècle.
Leili Abbassi, qui prend le titre de cheikh alors qu’il ne dépasse pas la vingtaine, chante pour les sommités de la poésie dialectale qui le reconnaissent comme un artiste complet, à la fois auteur, compositeur et interprète. Salim Halali, d’origine algérienne, mais qui vécut longtemps à Casablanca, un autre grand chanteur, mêle le flamenco aux chansons maghrébines, et invente le son musica «Sica».D’autres interprètes-compositeurs se sont illustrés dans ce domaine : Samy El Maghribi (Salomon Amzallag), Jo Amar (paytan et ministre officiant), Albert Suissa.
Henri Elbaz, Albert Guigui et Yossef Derhi se sont aussi fait connaître comme compositeurs et interprètes. Il faut également signaler Alabina, dont le père est marocain, et de Samy Goz, chanteur et chef d’orchestre à Paris.
Les musiciens
Les paytanim sont les auteurs de piyoutim ou leurs interprètes.
Le paytan interprète les piyoutim, possède la culture hébraïque adéquate et la maîtrise des maquam (gammes). Le paytan peut recevoir le titre honorifique de rabbi. Les paytanim sont organisés en associations rattachées à la synagogue, sous le patronage du Roi David, qui symbolise l’union privilégiée entre l’art poétique et musical.
Parmi les paytanim réputés on peut citer, par ordre chronologique, Raphaël Moshé Elbaz, Rabbi David Iflah, David Elkaïm, Haïm Afriat, Haïm Attar, David Bouzaglo (Nissim An-Naqqab), Nehemia Elbaz, Haïm Look, Meyer Attia, Émil Zrihen, Elie Mellul, Ouriel Waich Cohen, Jacob Wiseman, Albert Bouhadana, Elie Elbaz, Haïm Abenhaïm, Itshak Cohen, David Abikhser, Chélomo Wanounou, Moshé Elfasi, Meir Shitrit, Joe Amar, Daniel Lasry.
Parmi les instrumentistes il convient de signaler les violonistes Maurice Teboul, Yeshouah Azoulay et Charles Edery, les luthistes Berto, Shlomo Etedgui, Rahamim Allon, Moshé Benhamou, Prosper Edery, Henri Elbaz, les percussionnistes Samy Sebag et Maurice Malka, et les guitaristes Haïm Ohana et Charles Ben Ezra.
Les dnadni chantent en général de la musique arabe populaire ou chaabi.Le nom de ces musiciens évoque le son d’un instrument à cordes. Le seul instrument à vent utilisé dans la liturgie juive est le chofar et c’est peut-être pour ne pas confondre le temps sacré et le temps profane que les instruments à vent sont absents. Les orchestres dnadni animent les fêtes familiales.



Contribution des femmes
La contribution des femmes à la musique judéo-marocaine consiste à transmettre un répertoire populaire chanté en dialecte judéo-marocain. Les chansons, souvent anonymes, relatives au cycle de vie sont entonnées à différentes occasions. La rédaction ou l’interprétation des piyoutim étant réservées en général aux hommes, la contribution des femmes à ce genre musical demeure plutôt rare : on peut toutefois citer les oeuvres de Freha Bar Avida (fin du XVIIIe ou début du XIXe siècle).
Dans le domaine de la chanson populaire, une chanteuse a brillé depuis les années 1930, la cheikha Zohra El Fassia (ou mâalma). Sa présence dans tous les foyers marocains, juifs et musulmans, témoigne de sa popularité. Elle chante le malhoun, dans lequel elle excelle, pratique aussi l’andalou-ghanarti et ses mouals. Citons aussi Raymonde Abecassis, alias Raymonde Biddaouia, installée en Israël, qui maîtrise le répertoire musical marocain et moyen-oriental.
Les traditions musicales berbères incluent l’usage du tambour en peau de chèvre monté sur un cadre de bois qui accompagne la danse des femmes.
La musique judéo-marocaine s’inspire aussi des traditions folkloriques de chaque région. Ainsi, dans les tribus berbères, les danses en rond des femmes, sont accompagnées par les hommes jouant du bendir, un tambour en peau de chèvre tendu sur un cadre de bois.


Tendances contemporaines
En Israël, plusieurs groupes musicaux ont développé des styles inspirés du patrimoine judéo-marocain et comprenant d’autres courants musicaux.
C’est le cas du groupe israélien Habrera Hativit (le choix naturel) créé en 1976, dont les mélodies et les nombreux instruments (percussions, tamboura, flûtes et cloches, violons, sitar, santour, guitare, contrebasse, tabla et dolki) reflètent des courants musicaux de l’Occident, de l’Orient, de l’Inde en particulier.
Fondé par Shlomo Bar, le musicien principal originaire du Maroc, ce groupe constitue l’une des expressions majeures de la culture musicale contemporaine en Israël. Les thèmes des chansons traitent du déracinement, des problèmes d’intégration en Israël et de la richesse et de la beauté de la culture judéo- marocaine.
Cette musique a servi d’accompagnement à des créations théâtrales comme Le Roi marocain du dramaturge Gabriel Bensimhon, à Crise et à La guerre des Juifs.
Alors que le groupe Habrera Hativit s’exprime en hébreu, le groupe Sfataïm formé dans la ville de Sdérot (sud d’Israël), préfère chanter en arabe. Il interprète des pièces de musique populaire marocaine, entrecoupées de rythmes et de textes modernes.
Au Canada, l’essor de musiques, dont les sources proviennent des écoles nationales du XIXe siècle ou de la musique dite populaire, a eu pour effet que pour la première fois des thèmes de la musique liturgique marocaine se retrouvent employés dans l’œuvre Cantate 3, créée en 1996, de la compositrice Anne Lauber.
Par ailleurs, en Israël, Avi Tolédano, utilise des sources classiques pour ses compositions populaires qu’il chante en hébreu, en français et en anglais. Connu internationalement, il a reçu de nombreux prix, dont celui de l’Eurovision.
Zehava Ben, qui a grandi dans un des quartiers pauvres de Beer-Sheeva, interprète des chansons en hébreu et des chants en arabe du répertoire de la célèbre chanteuse égyptienne, Oum Kalsoum.
En France, la chanteuse Sapho, née à Marrakech, se réclame de ses racines juives marocaines pour mêler les influences arabo-berbères, andalouses et espagnoles, dans ses compositions musicales.
Gérard Édéry, né à Casablanca puis ayant grandi à Paris et à New York, interprète à la guitare des pièces du répertoire classique, du flamenco, du jazz et des chants judéo-espagnols.
Musique judéo-espagnole
Les chansons judéo-espagnoles remontent généralement à la période antérieure à l’expulsion des Juifs d’Espagne en 1492. Le cancionero séphardi s’est enrichi de créations locales et de chansons espagnoles du XVIe et XVIIe siècles, arrivées au Maroc grâce aux relations commerciales qui existaient entre les megorashimet les Juifs convertis (cristianos nuevos) restés en Espagne.
Ces chansons sont en judéo-espagnol, communément appelé ladino, espagnol archaïque, enrichi de mots hébraïques et arabes et dont la phonétique s’apparente à l’espagnol du XVe siècle. Une tradition analogue existe de l’autre côté de la Méditerranée, dans l’ex-empire ottoman (Turquie, Grèce, Bulgarie, Bosnie), où se sont établis la majorité des exilés.
De l’expulsion des Juifs d’Espagne jusqu’à nos jours, elles ont été transmises surtout de mère en fille, au Nord du Maroc, là où les megorashim ont conservé leur héritage espagnol. Les hommes préfèrent les chansons à thème religieux, chantées à la synagogue.
Aujourd’hui, seuls ceux qui sont doués d’une mémoire extraordinaire se souviennent encore d’une chanson entière et ont continué, par goût personnel à entonner ces chansons en dehors du contexte traditionnel sépharade.
La transmission et la vitalité des chansons judéo-espagnoles sont liées à une forme de vie traditionnelle, qui à son tour, repose sur des lieux et des pratiques sociales et religieuses.
Avant la dispersion des Juifs du Maroc, les femmes avaient l’habitude de chanter des romances ou ballades à la maison, pendant qu’elles accomplissaient leurs tâches ménagères, pour endormir un enfant et à la tombée de la nuit, en groupe, dans le patio ou zoria, de la maison traditionnelle de la judería.
Après avoir fini leurs tâches domestiques et en attendant que leur mari revienne de la synagogue après l’office du soir, elles fredonnaient ces ballades, en se berçant sur des matechas (balançoires), d’où le nom de cantares de matecha, dont la plus populaire est sans conteste Diego León, mieux connue sous le nom de En la ciudad de Toledo.
L’amélioration des conditions économiques des Juifs au Maroc sous le protectorat espagnol, entraîne un exode de la population en dehors de la judería vers les quartiers de la nouvelle ville.
Ainsi les familles ne vivaient plus autour d’un patio,lieu d’activité et d’échange sociaux. Cela diminua les formes de vie et de loisirs traditionnelles, comme le chant en groupe, qui permettent aux femmes de partager leurs chansons et parfois de rivaliser entre elles.
La colonisation espagnole (1858-1956) et la création de l’Alliance Israélite Universelle (1860) ont amorcé le déclin des chansons et des formes de vie traditionnelles.
En effet, l’espagnol normatif a supplanté la haketía comme langue vernaculaire des Juifs de la zone espagnole. Le français, langue d’enseignement, de culture et de prestige, s’est taillé une place de choix parmi les catégories éduquées de la population, qui aspiraient à faire partie du monde contemporain.
Dès 1948, l’exode des Juifs marocains et leur intégration à la société occidentale et israélienne ont porté un coup fatal à la survie des chansons judéo-espagnoles. Arrachées à leur lieu d’origine (la judería) et amputées d’un mode de vie étroitement associé à la pratique religieuse et aux manifestations sociales de type familial et communautaire, les chansons judéo-espagnoles ne constituent plus un patrimoine vivant pour les Juifs hispanophones du Maroc, mais sont reléguées au passé.
De nos jours, les chansons judéo-espagnoles ne sont plus transmises oralement, mais sont plutôt diffusées par des enregistrements (disques, cassettes), dont l’authenticité est souvent discutable.
On distingue trois grands genres de chansons : les ballades ou romances, qui ont toujours joui d’un grand prestige auprès des érudits; les chansons du cycle liturgique ou coplas, moins étudiées et donc moins connues et les chansons du cycle vital, dont la grande majorité est constituée par les chansons de mariage.
Les Ballades, appelées romances en espagnol, et chantées, s’inspirent de thèmes bibliques, classiques, historiques, mauresques ou folkloriques.
Composées de vers octosyllabiques, avec assonance (seules les voyelles riment), elles font partie d’un héritage laïque partagé par tous les Espagnols, aussi bien Juifs que Chrétiens.
Les Ballades bibliques relatent un épisode édifiant de la vie des Patriarches, comme la naissance d’Abraham et le sacrifice d’Isaac.
D’autres sont dédiées à Moïse (La consécration de Moïse), au roi David (Tamar et Amnon), au roi Salomon (Le premier jugement du roi Salomon), ou s’inspirent du Midrash.Les variations d’une version à l’autre sont minimes, en raison du respect de l’origine sacrée des textes.
Les Ballades historiques puisent leur inspiration dans les exploits guerriers du Moyen-Age espagnol, notamment la Reconquista(711-1492), qui conduit les rois catholiques à récupérer peu à peu leur territoire.
Les chansons les plus populaires concernent le cycle du Cid, héros de la Reconquête, dont la plus connue est El destierro del Cid. La mémoire du Cid, héros chrétien par excellence, est restée plus vive dans les romances de la tradition orale juive que parmi les Chrétiens.
Les épisodes historiques, souvent abordés de façon romanesque, cherchent à capter l’imagination populaire.



Les Ballades classiques évoquent des figures de l’histoire ancienne, tel Virgile, auteur de l’Énéide, qui, au Moyen-Age passait pour le prototype même de l’éternel amoureux (Vergico), ou encore Hélène de Troie et Paris, ou le roi romain Tarquin, séducteur de Lucrèce…
Comme les personnages historiques, les héros classiques font l’objet d’une vision romanesque, les aventures amoureuses occupant une place de choix.
Les Ballades mauresques constituent une autre catégorie. Les Arabes ont occupé l’Espagne durant huit siècles (711-1492) et influencé les thèmes de nombreuses ballades, où les Maures, notamment les femmes, sont tantôt idéalisés, tantôt dénigrés.
Abondent aussi les romances qui évoquent des amours tumultueuses dans la cour d’un roi arabe (Por la calle de su dama) ou la vie de jeunes nobles chrétiennes capturées et réduites en esclavage par un roi maure, puis délivrées par un chevalier chrétien (Don Bueso y su hermana).
Les Ballades folkloriques les plus populaires portent sur des thèmes traditionnels, communs au folklore universel, où le thème amoureux prédomine : le mari qui revient de guerre et met à l’épreuve la fidélité de sa femme; la femme jalouse qui empoisonne son fiancé; la jeune fille amoureuse qui se déguise en soldat et va délivrer son amant, … (Por qué lloras, blanca niña, Una hija tiene el rey).
Des thèmes tabous, comme l’inceste, l’infanticide, le fratricide y sont également traités.
On trouve, parallèlement aux chansons liturgiques, faisant partie du rite synagogal, des chansons dites para-liturgiques ou coplas, notamment pour les fêtes joyeuses de simhat Torah, hanoukah, Tou-Bichevat, pourim, pessah et chavouot. Les coplas semblent plus récentes que les ballades, qui datent du XVIIIe siècle, alors que les premiers recueils de romances péninsulaires ont été réalisés du temps d’Isabelle de Castille, à la fin du XVe et au début du XVIe siècles.



Parmi les coplas les plus populaires figurent Empezar quiero contar et Esta noche de Purim, qui relatent l’histoire de Pourim et hi torah lanu nitana, où la Torah est donnée au Mont Sinaï. Par ailleurs, El debate de las flores, moins connue, est une chanson unique liée à la fête de Tou-Bichevat.
Les coplas, contrairement aux romances, constituent un genre littéraire, plutôt écrit qu’oral. La forme métrique des coplas est plus variée et complexe. Elles sont composées de strophes, dont la longueur et le nombre varient considérablement (de 12 à 100 strophes et plus).
Le contenu d’une copla peut être narratif, descriptif ou à caractère admonitoire et les thèmes sont toujours reliés aux croyances, aux fêtes et à l’histoire juives : la création du monde, la vocation d’Abraham, le sacrifice d’Isaac, Jacob et les douze tribus d’Israël, l’histoire de Joseph, la sortie d’Égypte, l’histoire de la reine Esther, celle de Judah Maccabée, la destruction du Temple.
Les chansons du cycle de vie sont aussi répandues et accompagnent les rituels de naissance, circoncision, bar-mitsvah, mariage et mort. Les plus populaires et les plus nombreuses sont celles qui accompagnent le mariage.
Pendant les sept jours de festivités qui culminent avec la cérémonie nuptiale, on chante des chansons, dont les thèmes préférés sont la beauté de la mariée, la nouvelle vie qui l’attend, le bonheur des fiancés, le «marchandage» entre les deux familles, le trousseau de la mariée et le bain rituel. Les thèmes érotiques sont abordés de façon tantôt voilée, tantôt explicite.
De tout le répertoire judéo-espagnol, celui du mariage est, sans doute le seul qui subsiste et continue à être pratiqué encore de façon spontanée (Ashuar nuevo),(Ni por cien navíos), (Rahel lastimosa), (Fray Pedro), (Dize la muestra novia).
À l’occasion de la naissance ou de la circoncision, les cantares de parida sont surtout chantées la veille de la brit milah, pour protéger le nouveau-né qui, avant d’être circoncis, ne fait pas encore partie du peuple d’Israël.
Les chansons de mort ou endechas,également chantées à ticha be av, sont peu connues, car elles ne sont pas chantées en dehors du contexte authentique, soit par respect, soit pas superstition, de peur que le malheur ne s’abatte sur la famille.